Allocations familiales: égalité ou solidarité?

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http://www.liberation.fr/economie/2014/10/17/allocations-familiales-qui-est-concerne-par-la-reforme_1123910

Le projet de loi de financement de la sécurité sociale de l’année prochaine souhaite mettre en place une mesure qui intuitivement peut nous paraître « normale »: le lissage des allocations familiales en fonction du salaire. La question est de savoir si elle est juste, ou plutôt de savoir si cette mesure génère un sentiment d’injustice ou pas.

Cela peut sembler subtil mais c’est bien le sentiment ou l’impression de justice qui est central dans une démocratie républicaine comme la nôtre, plus que ce que certains, bien imprudemment, nomment LA justice, telle une vérité immuable dictée par certains. Mais par qui? Au nom de quelle légitimité?

Cet article est assez révélateur car, en résumé, il nous explique que la mesure ne va réellement impacter que 12% des familles (famille signifiant des parents et des enfants). Cet argument n’est pas recevable, évidemment, car nous avons 10,5% de la population active qui se trouve au chômage, et pourtant les actifs et même les retraités (via la CSG) cotisent pour assurer à certaines personnes sans emploi un revenu minimum de solidarité (RSA: Revenu de Solidarité Active). Il est fort à parier que l’on ne va pas supprimer ou baisser ce qui est déjà un minimum, sur le seul argument qu’il ne concerne qu’une minorité de personnes. De la même façon, on ne peut, vis-à-vis de cette réforme, déclarer de manière péremptoire « circulez y a rien à voir, cela ne concerne qu’une minorité de familles! ».

Alors pourquoi tant de légèreté intellectuelle, de mépris à l’égard de ces « quelques rares » qui seront impactés par la réforme? La réponse est simple: ils sont riches. Donc leur état d’âme n’a pas d’importance; leur sentiment d’injustice n’a pas d’importance. Pourtant si l’on regarde quelques réactions sur les réseaux sociaux ou sur certains blogs, certains qui ne seront point impactés par la réforme (en clair les classes moyennes) témoignent d’un sentiment de ras-le-bol, d’un sentiment d’acharnement d’injustice.

Mon sentiment est que l’absence de mesure dans les comportements politiques provoque le ras-le-bol irrationnel (car il l’est) d’une partie de la population. Le clivage incessant entre les riches et les malheureux, entre ceux que l’on doit plaindre et ceux à qui l’on peut appliquer la loi du nombre, tout cela peut être dangereux pour notre vivre ensemble.

La santé, les retraites et la famille sont des repères d’égalité dans notre contrat social, je dirais même dans notre contrat sociétal. Dans le préambule de la Constitution, norme supérieure de notre droit positif voire même moral ou naturel, l’enfant et le vieux travailleur sont au coeur des préoccupations politiques héritées de 1789. Ce sont des valeurs que nous avons en commun et que nous devons entretenir, car elles ne se décrètent pas de manière autoritaire.

La solidarité n’est possible et viable que s’il y a un sentiment d’équité, d’égalité et donc de justice. Lisser les allocations familiales est une mesure qui en soi peut être acceptée et comprise par tous. Mais une réforme arrive toujours dans un contexte politique; elle fait sens dans les discours et les postures qui l’accompagne et qui lui donne corps.

Il faut prendre garde à ce que certains de nos concitoyens ne jugent notre modèle sociétal obsolète car, à leurs yeux, il est devenu trop injuste. J’ai déjà entendu certains exprimer leur volonté de sortir de notre principe de santé publique égalitaire ou de retraite par répartition. Le modèle américain, où chacun est responsable de sa survie, de sa santé et de sa retraite, n’est pas à mes yeux l’essence de notre vivre ensemble français ou même européen. Alors ne lui donnons pas plus de crédit que cela.

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